Auteure : johanne Dion

 

Cet article est le premier d’une série de deux qui présente le commentaire déposé par Montréal pour tous lors de la « Consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec » (août 2023). Montréal pour tous  est un groupe de citoyens non partisan, principalement actif sur la scène municipale.

1e partie : Transition énergétique ou Addition énergétique ?
2e partie : Transition énergétique : quelques pistes pour un vaste débat public

 

1ère partie : Transition énergétique ou Addition énergétique ?

  • Alors qu’on prévoit le dépôt, cet automne, d’un projet de loi « très costaud » touchant Hydro-Québec et la Régie de l’Énergie et visant, entre autres, à accélérer le développement de l’énergie éolienne [1].
  • Que chaque jour amène son lot d’annonces d’investissements somptuaires dans les filières aussi « propres » les unes que les autres : batterie verte [2] [3], hydrogène vert[4], aluminium vert[5], etc.
  • Et qu’il faudrait, selon le premier Ministre, plus de 100 Térawattheures (TWh) d’électricité additionnels – près de la moitié de la capacité de production annuelle d’Hydro-Québec ! – pour « électrifier l’économie du Québec » [6] et atteindre la carboneutralité à l’horizon 2050 [7].

Il est plus qu’à propos d’entamer un « vrai débat de société » sur l’avenir énergétique du Québec, comme le réclame d’ailleurs un large pan de ladite société civile [8]. Rappelons que Monsieur Legault s’est engagé à ce sujet lors de son discours d’ouverture le 30 novembre dernier… soit quelques semaines après la réélection de son gouvernement [6].

 

La nouvelle économie verte : un exercice de pensée magique

La civilisation moderne qui a commencé avec la première révolution industrielle a pu se déployer grâce à l’utilisation des combustibles fossiles : mobilité, santé, mode de vie, alimentation (et sa variété), système éducatif (notamment au niveau supérieur) et haut niveau de culture sont largement tributaires des combustibles fossiles, qui ont fourni plus de 90 % de l’énergie consommée sur la planète depuis le 19e siècle. À titre indicatif, en 2021, le pétrole (31 %), le charbon (27 %) et le gaz naturel (23 %) comptaient encore pour 81 % des approvisionnements mondiaux contre 2% pour le solaire et l’éolien [9].

Pour bien comprendre les défis de la décarbonation, de surplus imposée à vitesse « grand V », il faut aller au-delà des considérations de faisabilités technique et économique et prendre la mesure des contraintes imposées par la physique et l’ingénierie. Ici deux notions sont fondamentales : la Densité énergétique des différents types d’énergies et le Retour sur l’investissement énergétique (ou Energy Return On Investment ou EROI).

 

Densité énergétique de différents types d’énergies

Types d’energies Densité énergétique (Mégajoule/
kilogramme)
Vent 0,00006
Batterie 0,72
Bois 5,0
Pétrole 50
Gaz naturel 53,6
Hydrogène 143
Fission nucléaire 88250000
Fusion nucléaire 645000000

Source : Engineering toolbox et autres

 

La densité énergétique est l’un des déterminants-clés de la structure et de la dynamique d’un système énergétique. Plus la densité de la source d’énergie est élevée, plus ses coûts de transport (ainsi que de stockage) sont faibles, ce qui signifie que la production peut avoir lieu plus loin des centres de demande.

Il ne faut donc pas se surprendre que le pétrole brut (50Mj/kg) ait été rapidement privilégié puisqu’il était abondant, bon marché, capable, à pression et température ambiante, de fournir une énergie dense, fiable et sécuritaire, dans le cadre d’une utilisation à grande échelle. La production mondiale de pétrole, qui a été soutenue par d’énormes investissements, peut maintenant compter sur une importante infrastructure de transport (pipelines, terminaux de chargement et de déchargement, pétroliers géants) et de traitement à haut débit dans de grandes raffineries. Rien de comparable n’existe encore en matière d’énergies renouvelables…

La forte densité énergétique des combustibles fossiles en font, par ailleurs, des incontournables dans certains secteurs d’activités, fondamentaux pour notre économie : fabrication industrielle de l’acier, du cuivre, de l’aluminium, du ciment, etc., camionnage lourd, aviation, etc. On ne leur connaît toujours pas de substitut, à grande échelle…

Retour sur l’investissement énergétique (ou Energy Return On (energy) Investment ou EROI)

Source : WeiSbach D. et All, Energy intensities, EROIs, and energy payback times of electricity generating plants.

 

Le Retour sur l’investissement énergétique (EROI) est la mesure de l’énergie utilisable, produite par une installation électrique, divisée par l’énergie nécessaire pour construire, exploiter, entretenir et déclasser cette même installation. On souhaitera évidemment que le EROI soit le plus favorable possible…

Pour répondre aux exigences de la modernité, les systèmes électriques doivent en tout temps répondre à la demande : l’énergie doit être disponible quand le consommateur résidentiel, industriel ou autre en a besoin, 24/7. À ce titre, toutes les installations ne sont pas équivalentes : l’éolien et le solaire qui dépendent du vent ou du rayonnement lumineux ont une production intermittente qui peut varier selon l’heure du jour ou de la saison. On pourra en augmenter la fiabilité par l’ajout de capacités de stockage (back-up) ou en démultipliant le nombre d’éoliennes ou de panneaux solaires (surcapacités) sur des territoires, si possible exposés à des conditions météo distinctes, pour assurer, au final, une production lissée, stable et constante. Ces 2 options impliquent des investissements additionnels, ce qui réduit l’EROI d’autant (voir tableau : solaire photovoltaïque : 1,6 ; éolien : 3,9 ; solaire grande puissance (désert) : 9).

Si un EROI de 5 est nécessaire au maintien des besoins de base d’une société et qu’un EROI supérieur à 10 assure l’accès aux voyages internationaux et à un haut niveau de culture, nous ne pourrions donc pas maintenir notre niveau de vie actuel par la seule production d’énergie venant des technologies renouvelables…

Pour bien comprendre les défis de la décarbonation, surtout dans des délais aussi courts, il faut aussi connaître minimalement l’état des ressources minérales mondiales et prendre la mesure des contraintes imposées par la géologie et…la géopolitique.

Tous les signataires des accords internationaux sur les changements climatiques et la neutralité carbone sont virtuellement en compétition pour l’accès aux ressources, par ailleurs limitées, et aux produits transformés qui en découlent [10]. À cette enseigne, la Chine a déjà établi son hégémonie : elle a la mainmise sur l’extraction et le raffinage des minerais (terres rares, lithium, graphite, cobalt, etc.) entrant, notamment, dans la fabrication des batteries, de même que dans l’assemblage et la vente de voitures électriques. On prévoit qu’en 2030, elle produira 2 fois plus de batteries que l’ensemble de tous les autres pays du monde et qu’elles pourront être mises en marché à une fraction du coût de revient des compétiteurs (Amérique du Nord, Europe) [11]. Ce qui n’empêche pas le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie de se dire prêt, malgré les risques, à mettre jusqu’à cinq milliards de dollars de fonds publics sur la table pour développer sa filière batterie [12].

Alors qu’on cherche, en instaurant une nouvelle économie verte, à réduire les externalités environnementales générées par l’usage des hydrocarbures, force est de constater que cette ample demande (qui risque de s’imposer à celle d’autres secteurs de l’économie : médical, etc.) augmentera substantiellement les activités extractives de même que la consommation des énergies fossiles pour accéder, traiter, transporter les métaux de même que pour fabriquer les batteries elles-mêmes. Pour mémoire et près de nous, signalons qu’Énergir prévoit prolonger son réseau de gaz pour alimenter le parc industriel de Bécancour où seront fabriqués des composants…de batterie verte [13]!

Dans un futur « tout batterie », l’activité minière sera en forte expansion : plus de 200 % pour le cuivre, au moins 500 % pour des métaux comme le lithium, le graphite et les terres rares et encore bien davantage pour le cobalt [14]. Mais la réalité de terrain risque de très rapidement s’imposer puisqu’il faut, au bas mot, entre 10 et 30 ans pour passer de la phase de l’exploration minière à celle de la découverte puis à l’extraction proprement dite. Et que pour 1 000 sites analysés, seulement un ou deux deviendront des mines viables Comment faire quand le temps presse autant?

Dans une étude exhaustive et magistrale [15] sur les exigences matérielles concrètes qu’il serait nécessaire de mobiliser pour assurer un remplacement complet des énergies fossiles, Simon P. Michaux, professeur associé en Traitement des minéraux et Geo-métallurgie au GTK (Geological survey of Finland), est catégorique : on ne dispose ni du temps ni des ressources pour atteindre la cible que se sont donnée les nations les plus influentes du monde :

Replacing the existing fossil fuel powered system (oil, gas, coal), using renewable technologies, such as solar panels or wind turbines, will not be possible for the entire global human population. There is simply just not enough time, nor ressources to do this by the current target set by the World’s most influential nations. What may be required, therefore, is a significant reduction of societal demand for all ressources, of all kinds. This implies a very different social contract and a radically different system of gouvernance to what is in place today. Inevitably, this lead to the conclusion that the existing renewable energy sectors and the EV technology systems are merely steppingstones to something else, rather than the final solution. It is recommended that some thought be given to this and what that something else might be. [16]

Remplacer le système actuel alimenté par des combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon) par des technologies renouvelables, telles que les panneaux solaires ou les éoliennes, ne sera pas possible pour l’ensemble de la population mondiale. Il n’y a tout simplement pas assez de temps ni de ressources pour atteindre l’objectif actuel fixé par les nations les plus influentes du monde. Ce qui pourrait être nécessaire, par conséquent, est une réduction significative de la demande sociétale pour toutes les ressources, de toutes sortes. Cela implique un contrat social très différent et un système de gouvernance radicalement différent de celui qui est en place aujourd’hui. Inévitablement, cela conduit à la conclusion que les secteurs d’énergie renouvelable existants et les systèmes technologiques de VE ne sont que des tremplins vers quelque chose d’autre, plutôt que la solution finale. Il est recommandé de réfléchir à cette question et à ce que pourrait être cette autre solution. (ndla : traduction avec Deepl)

Décarboner l’économie mondiale à 80 % d’ici 2050 (et même possiblement à 95% au Québec) en s’appuyant presque exclusivement sur la conversion des flux diffus d’énergies renouvelables, tout en composant, par ailleurs, avec des prix de l’énergie en hausse, un système financier fortement endetté, la rareté des intrants, un population mondiale en perpétuelle croissance et un environnement naturel dégradé, relève assurément de la pensée magique !

 

Pour la bonne suite des choses

Source : Approvisionnement en énergie dans le monde et au Québec par source, 2018 (IEA, 2021 ; Withmore et Pineau, 2021)

 

Déjà décarboné à 46 % [17], le Québec est dans une situation enviable par rapport au reste du monde [18].

Dans ce contexte, et pour la bonne suite des choses, notre gouvernement doit faire des choix judicieux et responsables,

  • qui, étant donné les enjeux (fiabilité, sécurité des approvisionnements, etc.), n’ont pas à être inutilement précipités,
  • basés sur des analyses rigoureuses, objectives et complètes
  • faits en résonnance avec les particularités du milieu et surtout
  • réfléchis à l’extérieur de la chambre d’écho.

 

La suite dans la 2e partie : Quelques pistes pour un vaste débat public.

 

[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1974598/fitzgibbon-consultation-publique-avenir-energies-propres-quebec et https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-01-26/hydro-quebec/quebec-tiendra-une-consultation-sur-l-avenir-energetique.php 

[2] https://www.lapresse.ca/affaires/economie/2022-12-08/filiere-batterie/vers-des-investissements-de-10-milliards.php

[3] https://battery.investquebec.com/fr/

[4] https://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/ressources-naturelles/quebec-investit-12-g-pour-developper-lhydrogene-vert-et-les-biocarburants/633422

[5] L’aluminium le plus vert au monde, Investissement Québec : https://www.investquebec.com/international/fr/secteurs-activite-economique/aluminium/L-aluminium-le-plus-vert-au-monde.html

[6] Legault relance le débat sur la construction de barrages, La Presse, 30 novembre 2022

[7] Un écart de 37 TWh entre Legault et les experts, Le Devoir, 2 décembre 2022

[8] Un vrai débat de société s’impose au Québec, Le Devoir, 17 janvier 2023

[9] International Energy Agency , 2021

[10] https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris

[11] Can the world make an electric car battery without China, New York Times, 16 mai 2023

[12] https://www.tvanouvelles.ca/2023/06/17/pierre-fitzgibbon-pret-a-parier-jusqua-5-milliards-sur-la-filiere-de-la-batterie-electrique

[13] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1985213/energir-becancour-electricite-carbone-transition

[14] Notons que 50 à 100  livres de matériaux sont extraits, déplacés et traités pour chaque livre de batterie produite .

[15] Henry Sanderson et al, Electric cars : China’s battle for the battery market, Financial Times, 5 mars ,  2017. Jamie Smyth, BHP positions itself at centre of electric-car battery market, Financial Times, 9 août, 2017

[16] Simon P. Michaud, Assessment of the extra capacity required of alternative energy electrical power systems to completely replace fossil fuels, au GTK (Geological survey of Finland), 20 août 2021, p. iv

[17] Hydro : 37% , biomasse : 7% et  autres énergie renouvelables, principalement l’éolien : 2%

[18] En effet, seule l’Islande (90%) et  la Norvège (56%) ont des proportions supérieures d’énergies renouvelables dans leur approvisionnement.