Auteur : Patrick Vesin

 

La promesse de l’alimentation à partir d’organismes génétiquement modifiés (OGM) était d’augmenter la production agricole afin de répondre à la croissance de la population mondiale tout en simplifiant le travail au champ. Pour certains, elle apparait comme étant une solution prometteuse, pour d’autres une pente dangereuse. Que doit-on en penser ?

 

Définition

L’OMS (Organisation mondiale de la santé) définit les OGM comme des « organismes (plantes, animaux ou micro-organismes) dont le matériel génétique (ADN) a été modifié d’une manière qui ne se produit pas naturellement par accouplement et/ou recombinaison naturelle. »

Au Canada, les plantes génétiquement modifiées approuvées pour commercialisation sont le maïs, le canola, la pomme de terre, la tomate, la courge, le soya, le lin, la luzerne, la pomme et la betterave à sucre. Santé Canada a également approuvé en 2016 le saumon AquAdvantageTM, premier animal génétiquement modifié autorisé pour la consommation humaine au pays.

D’après Santé Canada, « les techniques de modification génétique ont été utilisées pour produire des cultures qui :

  • résistent aux maladies (plantes appelées Bt)
  • résistent aux ravageurs qui détruisent les cultures (en produisant un insecticide, appelées Bt également)
  • tolèrent les herbicides utilisés pour tuer les mauvaises herbes (plantes appelées TH)
  • retardent davantage le processus de maturation afin de permettre le transport sur de longues distances
  • survivent plus facilement à des conditions de sècheresse aux endroits où l’eau est rare »

Point essentiel à noter : les aliments génétiquement modifiés ou ceux élaborés à partir d’OGM ne sont pas obligatoirement étiquetés au Canada.

 

Les OGM bons pour la santé?

Pour sa part, le gouvernement du Québec traite des risques potentiels associés à la consommation d’OGM. On apprend ainsi que l’utilisation des OGM soulève certaines inquiétudes quant aux risques potentiels qu’ils peuvent présenter pour la santé.

Selon l’OMS, les trois principaux sujets de préoccupation pour la santé humaine sont :

  • les possibilités de provoquer une réaction allergique (allergénicité)
  • le transfert de gènes (comme le transfert des gènes de résistance aux antibiotiques de l’alimentation à l’homme)
  • le croisement (la migration de gènes de plantes génétiquement modifiées vers des cultures conventionnelles ou des espèces apparentées dans la nature)

Cependant, toujours d’après l’OMS, les aliments génétiquement modifiées actuellement disponibles sur le marché international ont passé avec succès les évaluations de sécurité et ne sont pas susceptibles de présenter des risques pour la santé humaine.

 

Quelques doutes

Aujourd’hui, 88 % des OGM dans le monde sont créés pour résister à des herbicides. La conséquence est que l’usage de ce type de culture a entraîné une augmentation de l’utilisation des herbicides. Au Canada on a observé une augmentation de 41% de la vente de ce type de produits suite à l’arrivée des cultures d’OGM. La compagnie Monsanto, entreprise controversée bien connue dans le domaine des OGM, rachetée par Bayer en 2018, a longtemps soutenu que le glyphosate (son herbicide bien connu) était biodégradable et sans dangers. Cependant, en 2016, les « Monsanto Papers » ont montré que la firme savait depuis 1999 que son produit était potentiellement cancérigène. Problème : il est de notoriété publique que cet herbicide se retrouve partout dans notre environnement et dans notre alimentation ! Quelles conséquences alors?

Autre source d’inquiétude : très peu d’études examinent les risques directs des OGM sur la santé. Il y en a cependant plusieurs qui traitent des effets négatifs associés à l’usage des pesticides. Le manque d’études scientifiques indépendantes est cependant un frein important. Ce nombre peu élevé est dû au fait que les chercheurs doivent obtenir l’autorisation des compagnies détenant les brevets. Mais celles-ci rechignent à accorder des autorisations. Le financement de la recherche, due pour une large part au privé, mais aussi le lobbying et le dénigrement des critiques via l’usage de firmes de relations publiques peuvent aussi expliquer cet état de fait. On retrouve les stratégies utilisées par l’industrie du tabac.

Le résultat est que les études indépendantes et à long terme demeurent restreintes et contradictoires. Si en 2013 près de 300 scientifiques ont fait une déclaration conjointe à l’effet qu’il n’y a toujours pas de « consensus scientifique » sur l’innocuité des OGM, nous ignorons en fait toujours si les cultures OGM sont sans danger pour la consommation animale ou humaine car trop peu d’études ont été menées sur le long terme.

 

Impact sur la biodiversité

Malgré le manque de données, les impacts sur l’environnement des plantes génétiquement modifiées créées pour résister à un insecte ravageur ou à un herbicide total ont été largement prouvés.

 

Nocivité des OGM résistants aux insectes (Bt)

Les cultures transgéniques dites résistantes aux insectes, ont pour fonction de tuer les nuisibles spécifiques qui attaquent les cultures. Outre leur nocivité ciblée, elles sont aussi :

  • Toxiques pour des organismes non ciblés, comme les papillons
  • Toxiques pour certains insectes bénéfiques
  • Une menace pour les écosystèmes du sol. De nombreuses cultures Bt sécrètent leur toxine de la racine vers le sol
  • Les déchets agricoles provenant de maïs Bt infiltrent les cours d’eau, là où la toxine Bt pourrait s’avérer toxique envers certains insectes

 

Nocivité des plantes tolérantes à un herbicide (TH)

Les cultures TH sont prévues pour résister aux herbicides. L’avantage pour les agriculteurs est que la plante résiste à l’herbicide ce qui permet d’éliminer sans peine les mauvaises herbes. Cependant, leur utilisation est associée :

  • À des effets toxiques des herbicides sur les écosystèmes. L’herbicide Roundup (marque commerciale du glyphosate), vendu par Monsanto conjointement à ses plantes génétiquement modifiées estampillées « Roundup Ready », est un perturbateur endocrinien potentiel, c’est-à-dire qu’il pourrait interférer avec les hormones.
  • À une tolérance accrue des mauvaises herbes aux herbicides. Par exemple, aux États-Unis, les agriculteurs se retrouvent dans l’obligation d’augmenter les quantités de Roundup pour contrôler les mauvaises herbes ou d’utiliser d’autres herbicides en complément du Roundup.
  • À la diminution de la biodiversité. Une étude du gouvernement britannique a observé une diminution de 24% des papillons en bordure des champs de colza transgénique en raison de la diminution du nombre de fleurs.
  • À la réduction du nombre de bactéries du sol. L’utilisation d’herbicides sur les cultures de soja génétiquement modifié conduit à la diminution de la quantité de bactéries bénéfiques fixant l’azote, élément important de la croissance des plantes.

 

Conclusion

Comme pour la 5G et bien d’autres domaines, les autorités affirment que les OGM ne présentent aucun danger. Cependant, on constate que les compagnies se livrent à un intense lobbying et, de part les financements qu’elles accordent, orientent la recherche dans d’autres directions. Il en résulte que les études sur l’innocuité des plantes transgéniques se font trop rares, au point où il n’est pas possible de conclure.

Dans ce cas, nous ne devons pas oublier pas le principe Primum non nocere : en premier ne pas nuire.

Les études étant insuffisantes, l’impact des OGM étant loin de faire l’unanimité, le principe de précaution devrait prévaloir. Dans ces conditions, le consentement libre et éclairé des consommateurs est indispensable. Et l’étiquetage des OGM devrait être obligatoire. Mais ce n’est pas le cas, comme on l’a vu plus haut.

N’existe-t-il pas d’autres solutions, comme l’agriculture biologique, qui respectent l’évolution naturelle et permettraient de nourrir sainement une population en croissance? Certains objecteront que les rendements de l’agriculture biologique sont insuffisants pour nourrir l’ensemble de la population mondiale. Mais est-ce vraiment le cas? Des recherches menées au cours des 20 dernières années montrent qu’une hausse des rendements de l’agriculture « naturelle » est possible. Par exemple, une étude de l’Université Dalhousie montre que l’ « agriculture biologique est en général plus profitable que l’agriculture conventionnelle »

En outre, mettre seulement l’accent sur la productivité en évitant la question des effets à moyen et/ou long terme risque de nous amener dans un cul de sac sur le plan de la santé et de l’environnement. Les avantages à court terme ne doivent pas faire perdre de vue l’appauvrissement et la pollution des sols qu’engendre l’agriculture intensive, ce qui risque de mener à terme une baisse des rendements.

Mais quand on sait qu’une compagnie comme Bayer fabrique des semences génétiquement modifiées pour résister spécifiquement à un herbicide qu’elle produit elle-même (le Roundup), herbicide dont la compagnie elle-même sait comme on l’a vu qu’il est cancérigène (et qui est classé comme « cancérigène probable par l’OMS)… et qu’elle vend aussi des médicaments contre le cancer, la boucle parait bouclée et il semble peu vraisemblable que ses préoccupations à moyen ou long terme ne soient autres que financières. Vue l’influence d’une telle compagnie, on ne peut être surpris de l’annonce récente du renouvellement de l’autorisation du Roundup par l’Union européenne, une nouvelle qui doit nous amener à nous poser de nombreuses questions.