Peu après les dernières élections, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, mais aussi ministre responsable du Développement économique régional, M. Pierre Fitzgibbon, parlait de sobriété énergétique dans les prochaines années, afin que la province puisse respecter ses engagements environnementaux. (1)

On peut donc se demander où sont passés les surplus d’électricité annoncés il y a quatre ans par le premier ministre ? Comment expliquer cette baisse étonnante ? Plusieurs raisons sont avancées.

  • Avec la transition énergétique, des consommateurs veulent venir au Québec pour augmenter leur capacité.
  • La consommation domestique est en hausse.
  • Les secteurs énergivores prendront de la place. En particulier : la conversion des bâtiments à l’électricité et l’électrification des transports, une hausse prévue de la demande du secteur commercial, les secteurs en expansion (centres de données, serres, hydrogène), très énergivores.
  • Il faut ajouter les deux grands contrats d’électricité à long terme avec le Massachusetts et avec la Ville de New-York. (2)

À cela, certains avancent que l’électricité servirait aussi à l’alimentation des tours 5G, aux caméras de reconnaissance faciale, aux transactions numériques et à alimenter l’ordinateur le plus puissant au Canada qui s’installe au Québec.

A priori, tout cela fait du sens. Mais est-ce que tout le monde voit cela du même œil ?

Il semblerait que non. Monsieur Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier, affirme que « le problème au Québec est à la pointe hivernale pendant les quelques dizaines d’heures où il fait très froid et la demande pour se chauffer est forte ».   Selon lui, il faudrait pour le reste réduire l’exportation énergétique, ajouter de nouveaux approvisionnements et instaurer des tarifs intelligents pour amener les gens à ne pas gaspiller d’énergie. Oui pour se préparer à une plus grande électrification pour les années futures; planifier… Mais pourquoi vouloir faire peur aux gens? (3)

On notera aussi que les contrats conclus récemment limitent notre capacité d’adaptation aux défis à venir. En effet, un ex-ingénieur hydroélectrique, rejoint par d’autres anciens de la société d’État, affirment que les Québécois vont payer pour les prix d’ami offerts aux Américains : « Ils ont puisé dans le bloc patrimonial pour vendre au rabais l’équivalent de 93 % de la rivière Manicouagan aux Américains ! On va remplacer ça par quoi ? C’est impossible aujourd’hui de remplacer ces barrages. Des rivières de la qualité de la Manicouagan, on n’en a plus ! » (4)

Remplacer par quoi ? Le ministre Fitzgibbon veut étudier la question des éoliennes. Voilà qui est tout en son honneur. Mais là aussi il y a matière à débat, et ce pour plusieurs raisons : les vents sont difficiles à prévoir, l’énergie éolienne occasionne des dégâts environnementaux en saccageant le patrimoine naturel, la construction d’éoliennes nécessite des terres rares (très polluantes et produites dans des pays peu regardants quant aux conditions de travail et aux droits humains), des plastiques composites non recyclables, les parcs éoliens engendrent de la pollution sonore et une perte d’habitat pour les oiseaux, parfois leur mort. (5)

Également, les éoliennes fonctionnent généralement moins d’un tiers du temps, faute de vent, si bien que le réseau doit non seulement sans cesse s’ajuster, mais la question de la rentabilité énergétique se pose : finalement, une éolienne permet-elle de produire davantage d’énergie que cela en a nécessité pour la mettre en service puis la démonter et la « recycler » (si cela est possible) une fois arrivée à la fin de sa vie utile, estimée à 20 ans? À l’heure actuelle, la question est débattue.

Et l’on ne parle que de la situation au Québec, qui est sans doute l’endroit au monde où il fait le plus de sens d’installer des éoliennes et de développer l’auto électrique. Car ailleurs, lorsque les éoliennes ne fonctionnent pas, la production manquante doit être compensée par des centrales nucléaires ou au gaz, voire au charbon. En fait, le développement de l’éolien ne peut se faire dans le reste du monde qu’en développant… les énergies fossiles. Le problème est le même lorsqu’on l’on croit ne pas polluer avec son auto électrique… alors que son énergie est produite par des centrales au charbon. Le cas de l’Allemagne est particulièrement flagrant à ce sujet.

Le départ surprise de la PDG d’Hydro-Québec, madame Sophie Brochu, soulève également des questions. Même si le premier ministre a affirmé qu’il n’y avait aucun lien avec ses déclarations passées, elle avait tout de même mentionné qu’elle quitterait ses fonctions si monsieur Fitzgibbon venait à privilégier des projets de développement économique énergivores en faisant du Québec le « Dollarama » de l’électricité. « Ce qu’il ne faut pas faire, c’est d’attirer un nombre indu de kilowattheures industriels qui veulent payer pas cher et, après ça, de construire des barrages pour les alimenter parce qu’on manque d’énergie ». (6)

Ce qui est certain est que le ministre devra être surveillé. Depuis 2018, il a octroyé plus de 17 milliards de dollars de contrats de gré à gré (c’est-à-dire sans appel d’offres) !  Et il en est à sa sixième enquête à l’éthique. (7)

Patrick Vesin

 

(1) https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1926495/energie-pierre-fitzgibbon-croissance-hydro-quebec

(2)https://www.journaldemontreal.com/2022/03/26/ou-sont-passes-les-surplus-delectricite

(3) https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8700567/reduire-consommation-electricite

(4)https://www.journaldemontreal.com/2022/12/02/les-quebecois-vont-payer-pour-les-prix-dami-aux-americains

(5) https://www.journaldemontreal.com/2022/12/08/avec-ses-eoliennes-fitzgibbon-brasse-du-vent?fbclid=IwAR2fPfW3Ormkag2US-2hWjAkasDgbZZKQJhhb_179bHaGY9fZd2DdbxFypQ

(6)https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-01-11/hydro-quebec/legault-veut-un-pdg-en-mode-developpement.php

(7) https://www.journaldemontreal.com/2023/01/07/les-aventures-de-super-fitzgibbon