Cet article est le deuxième d’une série de deux qui présente le commentaire déposé par Montréal pour tous lors de la « Consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec » (août 2023). Montréal pour tous est un groupe de citoyens non partisan, principalement actif sur la scène municipale.

 

1e partie : Transition énergétique ou Addition énergétique ?
2e partie : Transition énergétique : quelques pistes pour un vaste débat public

 

2e partie : Quelques pistes pour un  vaste débat public

 

1- Repenser le modèle de développement de la filière Éolienne et remettre Hydro-Québec au cœur de son déploiement

La capacité de production éolienne du Québec atteint près de 4 000 MW, ce qui correspond à 10 % de la capacité installée totale. D’ici 2030, entre 6 000 MW et 10 000 MW pourraient y être ajoutés, selon le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie[1].

Le modèle de développement actuel permet une production énergétique d’envergure à des fins lucratives, menée par des promoteurs privés, possibilité qui avait pourtant été éliminée avec la deuxième nationalisation de l’hydro-électricité lors de la Révolution tranquille. Les premiers contrats (3 000 MW) ont été remportés principalement par des multinationales de l’énergie dont les sièges sociaux se situent à l’extérieur du Québec. Les appels d’offres suivants, de tailles plus modestes, ont été accordés à des partenariats entre des regroupements locaux ou autochtones et des entreprises privées.

POTENTIEL ÉOLIEN : La politisation de projets essentiellement énergétiques et leur travestissement en initiative de développement économique régional ne permet pas de capter le plein potentiel éolien, techniquement exploitable, non plus que de gérer le réseau électrique de façon optimale. Bien que les meilleurs gisements éoliens se trouvent au nord du Québec[2], à proximité des lignes de transport d’Hydro-Québec, les premiers appels d’offres, lancés à partir de 2003[3], ont d’abord ciblé la Gaspésie pour ensuite essaimer dans d’autres régions du Québec. Les derniers appels d’offres, lancés ces derniers mois dans un contexte ou « Hydro-Québec comme le gouvernement entendent survolter la production éolienne au plus vite » – transition énergétique oblige ! –  seront cette fois restreints aux régions où une capacité de transport est encore disponible sur le réseau…[4],  régions qui ont pour la plupart un potentiel éolien moindre ou comparable à celui la Gaspésie…

 

Coûts d’approvisionnement

Hydro-Québec est lié aux promoteurs privés par des contrats d’une durée de 20 ans, ce qui correspond généralement à la durée de vie d’une installation. L’État paie en moyenne de 8 à 10 cents le kilowattheure pour l’ensemble de ces parcs éoliens, ce qui est prohibitif par rapport aux prix consentis en Alberta par exemple (3,7 cents)[5]. Les nombreux décrets du gouvernement qui ont imposé à Hydro-Québec l’achat massif d’électricité produite par cette filière ne sont pas étrangers à cette situation[6]… Ainsi, selon la Vérificatrice Générale du Québec, ces achats inutiles, tout particulièrement en période de surplus d’énergie, auraient coûté 2,5 milliards $ aux clients québécois entre 2009 et 2016. Une autre étude, produite par l’Institut économique de Montréal, permet de constater que le prix moyen de vente de l’électricité est inférieur au coût d’approvisionnement[7] ce qui fait dire aux auteurs que l’électricité provenant de cette filière est de facto subventionnée, à hauteur de 695 millions de dollars annuellement[8]. Selon eux, « cette subvention aug­mente la facture de tous les Québécois, ce qui engendre un impact négatif sur l’économie puisque cette somme aurait pu leur servir à d’autres fins. L’impact économique positif allégué de cette industrie n’est en fait qu’un déplacement d’argent inefficace ».

 

Fiabilité et sécurité des approvisionnements

La capacité de stockage des immenses réservoirs d’Hydro-Québec est de 173 Térawattheures (TWh), soit l’équivalent, en stockage, de 173 millions de batteries de 1 Mégawattheure (MWh) ou de presque 3 milliards de batteries de véhicule électrique de 60 kilowattheures (kWh).

C’est le libre accès à ces vastes équipements qui, littéralement, donne de la valeur à la production éolienne. Sans stockage pour corriger leur intermittence, ces énergies atteignent rapidement leur limite. Ainsi, si on envisage un développement des renouvelables à grande échelle, le seul moyen disponible permettant de stocker de l’électricité en grande quantité est la forme hydraulique.

L’énergie éolienne est, par ailleurs, une source dite « fatale » i.e. qu’elle est non contrôlable et doit être récupérée et utilisée sous peine d’être perdue : il faut demander aux autres moyens de production de s’effacer lorsqu’elle est produite : elle bénéficie donc d’un accès prioritaire au réseau. Hydro-Québec doit assurer les services d’équilibrage entre l’offre et la demande, suivant différents horizons de temps et différents scénarios de contingence. La société d’État demeure en tout temps et en toutes circonstances responsable de la fiabilité du réseau électrique et de la sécurité des approvisionnements.

Des conditions gagnantes pour une technologie pourtant exploitée avec un facteur d’utilisation (FU) de 35 % [9] !

 

Conclusion

Toute nouvelle production d’énergie éolienne, doit être rapatriée sous la gouverne d’Hydro-Québec, dans notre meilleur intérêt. Pour assurer la rentabilité à moyen et long terme de notre Société d’État, le gouvernement doit maintenir le caractère public de la distribution, du transport et de la production. À ce titre, les modèles suggérés pour diversifier l’offre (autoproduction et contrats d’achat d’électricité pour les grands consommateurs) sont à proscrire.

Comme c’était le cas il y a quelques années, Hydro-Québec reste maitre d’œuvre de la planification intégrée des ressources énergétiques pour son secteur d’activités.

 

2- Le Producteur, au même titre que le Transporteur et le Distributeur, doit être mis sous examen de la Régie de l’Énergie

Suite à l’entrée en vigueur du projet de loi 34, l’examen des demandes de hausse des tarifs d’Hydro-Québec par la Régie de l’Énergie est passé d’annuel à quinquennal, les tarifs étant dorénavant fixés selon l’inflation. Cette reddition de compte annuelle doit être rétablie : la seule façon de s’assurer que les tarifs d’électricité sont équitables, c’est de les fixer en fonction des besoins réels d’Hydro-Québec[10].

Les activités de production d’électricité devraient être règlementées comme le sont actuellement les activités de transport et de distribution. Hydro-Québec Production assure l’exploitation et le développement du parc de production de la Société. Elle fournit à Hydro-Québec Distribution un volume maximal de référence de 165TWh d’électricité patrimoniale à un prix moyen de 2,76 cents/kWh. Au delà de ce volume, elle peut participer aux appels d’offres d’Hydro-Québec Distribution dans un contexte de libre concurrence. Ceci veut dire que le reste de la production peut, le cas échéant être vendue à l’exportation ou aux autres divisions à n’importe quel prix, ou à ce qu’Hydro-Québec aime appeler le prix du marché (bloc post-patrimonial), bien qu’elle détienne 95% de la distribution au Québec…[11].

N’étant pas règlementée, Hydro-Québec Production garde tout son mystère car au delà du bloc patrimonial vendu au prix annoncé, la Régie n’a plus autorité… Pourtant  Hydro-Québec Production, Hydro-Québec Transport et Hydro-Québec Distribution font toutes partie de la même entreprise, menées par les mêmes dirigeants, sans barrières légales, ce qui implique que les systèmes comptables peuvent envoyer des coûts et des revenus d’une entité à l’autre, faussant ainsi une supposée libre concurrence.

Est-ce qu’Hydro-Québec pourrait abuser de cette marge de manœuvre, au sens économique  du terme ? Pour le bénéfice du gouvernement mais au détriment de ses clients ? À ce titre, le Service d’intégration Éolien (SIE) dispensé par Hydro-Québec Production à la demande d’Hydro-Québec Distribution pourrait, entre autres, être examiné de plus près…[12]

La réglementation de la production permettrait aussi de faire débat sur les activités d’exportation : alors que le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie prêche pour la sobriété énergétique et qu’à l’horizon 2026-2027 de nouveaux approvisionnements seraient nécessaires selon lui, Hydro-Québec projette d’envoyer au cours des prochaines années près de 20 TWh d’électricité aux Etats-Unis [13], sans parler des nombreux projets de centres de données, de batteries comme Northvolt (qui consommera 2 térawatts, soit un peu moins du vingtième de la production électrique du Québec estimée à 37,8 TW) ou industriels.

La société d’État a également l’intention d’accroître les occasions commerciales et de devenir, comme le claironne le premier Ministre Legault, la « batterie énergétique du Nord-Est américain ». On peut d’ailleurs lire dans le plan stratégique 2022-2026[14] que l’hydroélectricité (…) pourra compenser la variabilité des énergies solaire et éolienne qui seront déployées massivement dans les marchés voisins ». Assurer une puissance de base (baseload) à nos voisins du sud, comme c’est la cas actuellement, et contribuer à l’équilibrage de leurs systèmes énergétiques nous semblent être des engagements aux implications très différentes, en matière de fiabilité et de sécurité énergétique notamment. Ce projet mérite d’être suivi de très près, sous examen de la Régie de l’énergie (ou d’une autre instance publique apolitique et favorisant la représentation citoyenne).

  

3- En réponse aux changements climatiques, les stratégies d’adaptation  doivent être privilégiées

L’atténuation traite des causes du changement climatique – présumément dû à l’accumulation de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère[15], alors que l’adaptation concerne les impacts du changement climatique [16].

Continuer, en soi, à privilégier l’efficience, l’efficacité, l’économie et la sobriété en général est plus que souhaitable. Mais engager temps, effectifs et ressources, au niveau local, dans le but premier de diminuer les GES, avec les incertitudes significatives qui prévalent dans la science du climat et, parallèlement, le peu d’engagements de certains pays à travailler en ce sens[17], paraît, à court terme, plus qu’hasardeux. Comment, pourra-t-on, par ailleurs, mesurer l’impact réel de ces investissements, leur contribution spécifique à la décarbonation et leur incidence ultime sur le climat futur ? Prudence, donc…

Dans le contexte où les ressources de l’État sont limitées et que le gouvernement doit continuer à pouvoir mener concurremment ses autres missions que sont l’éducation, la santé, la protection sociale, etc., les mesures d’adaptation, bien ciblées et économes, sont susceptibles de livrer des résultats plus tangibles[18]. Hydro-Québec investira des sommes considérables pour gagner en résilience, en faisant évoluer la conception et la gestion de son réseau et en optimisant le remplacement et la modernisation de ses actifs[19]. Les municipalités qui sont aussi sur la ligne de front, réclament la création d’un fond vert de 2 milliards par année sur 5 ans pour adapter leurs infrastructures aux changements climatiques[20]. Plusieurs autres mesures porteuses, bien adaptées au milieu récepteur, peuvent être mises de l’avant : améliorer la sécurité alimentaire par la culture en serre et l’ajustement des méthodes de cultures, réduire la consommation d’eau d’industries grandes utilisatrices, etc.[21].

Et, assurément, la transition énergétique ne doit pas consister en une addition énergétique, qui risque d’être couteuse [22]… À ce titre, le gouvernement doit, dès à présent, décliner tout accueil au Québec de nouvelles entreprises énergivores et Hydro-Québec, qui entend quintupler ses ventes aux centres de données dans la prochaine décennie, réajuster ses plans…[23].

Finalement, le maintien d’un mix énergétique « sobre », qui table aussi bien sur les énergies renouvelables que fossiles, nous semble un choix avisé et bien « adapté » dans le contexte actuel de grande instabilité, géopolitique, climatique, informatique, etc… Imaginons seulement un prochain verglas sans chauffage, transports ou services publics!

 

Pour la bonne suite des choses 

Source : Approvisionnement en énergie dans le monde et au Québec par source, 2018 (IEA, 2021 ; Withmore et Pineau, 2021)

 

Déjà décarboné à 46%[24], le Québec est dans une situation enviable par rapport au reste du monde [25]. Dans ce contexte, et pour la bonne suite des choses, notre gouvernement doit faire des choix judicieux et responsables,

  • qui, étant donné les enjeux (fiabilité, sécurité des approvisionnements, etc.), n’ont pas  à être inutilement précipités,
  • basés sur des analyses rigoureuses, objectives, complètes
  • faits en résonnance avec les particularités du milieu et surtout,
  • réfléchis à l’extérieur de la chambre d’écho…

 

 

[1] https://www.ledevoir.com/politique/quebec/790396/fitzgibbon-revient-a-la-charge-avec-la-sobriete-energetique

[2] Le potentiel technique éolien exploitable s’élève à près de 8 millions de mégawatts. La région du Nord-du-Québec dispose de plus de 85 % du potentiel global du Québec : https://www.economie.gouv.qc.ca/bibliotheques/le-secteur/eolien/energie-eolienne/potentiel-eolien-au-quebec

[3] Notons que le projet Le Nordais a fait l’objet , en 1998, d’une entente de gré à gré entre le promoteur et HQ Production.

[4] Québec lancer un appel d’offres pour 1 500 mégawatts d’énergie solaire, Le Devoir

[5] Les québécois paient les factures d’énergie éolienne les plus élevées, le Journal de Québec, 17 mai 2018

[6] Nouvelle facture de 15 millirards pour l’énergie éolienne, Journal de Québec, 10 mai 2018

[7] Prix auquel Hydro-Québec Distribution achète l’électricité à la source.

[8] Les coûts croissants de la production d’électricité au Québec, Youri Chassin et all. IEDM, Juin 2013

[9] Le facteur d’utilisation d’une centrale électrique est le rapport entre l’énergie électrique effectivement produite sur une période donnée et l’énergie qu’elle aurait produite si elle avait fonctionné à sa puissance nominale durant la même période. Dans le cas présent, cela signifie que les éoliennes ne fonctionnent qu’un tiers du temps et qu’il faut donc avoir une capacité de production équivalente autre pour assurer la production des deux autres tiers du temps où le vent est insuffisant. Le Québec a une chance unique de disposer de barrages car dans le reste du monde, cette puissance « autre » est généralement constituée de centrales au charbon.

[10] Pour des tarifs d’électricité justes, La Presse, 13 février 2023

[11] Le discours comptable comme conditionnement de l’opinion publique. Le cas d’Hydro-Québec, Gaétan Breton,  Globe, p 75-99

[12] Notamment l’adéquation de  la physique de la production éolienne et de son impact sur la demande-nette avec la mécanique comptable que le producteur pourrait fort bien adopter pour commercialiser à son profit exclusif les stocks hydrauliques qu’il a gardés en réservoir précisément grâce à la réduction de demande nette résultant de la production éolienne (post-patrimoniale) achetée par le Distributeur.

[13] Où s’en va Hydro-Québec ? Voici les questions à se poser sur l’avenir de la Société d’état, Journal de Montréal, 15 avril 2023

[14] P. 29

[15] Nous modifions le climat par d’autres effets que les GES issus de la combustions des énergie fossiles : déforestation, surexploitation agricole, élevage, expansions des surfaces sombres, modification des écosystèmes terrestres et marins, etc…L’accroissement de la population est, par ailleurs un déterminant qui n’est jamais adressé…

[16] https://www.equiterre.org/fr/ressources/fiche-changements-climatiques-et-strategies-daction

[17] L’économie chinoise, par exemple, est actuellement alimentée à 70 % par le charbon et ce sera encore le cas à 40 % en 2040.

[18] La fiabilité de l’approvisionnement en énergie est cruciale pour une transition durable vers l’énergie propre, Beata Caranci et all. Services économiques TD, 13 avril 2022

[19] Plan stratégique 2022-2026, p. 30

[20] Legault promet des sommes additionnelles aux municipalités, La Presse, 2 mais 2023

[21] Changements climatiques et stratégies d’action, Équiterre

[22] Selon le spécialiste Jean-Francois Blain, « à cout unitaire initial de 10 cents/kWh, indexé de 2% par an, les quelques 100 TWh additionnels d’approvisionnement en électricité requis pour amorcer la transition énergétique et la décarbonation graduelle de l’économie québécoise représenterait un coût annuel de l’ordre de 12 800 M$ par an (12 milliards 800 millions $ / an) ».

[23] https://www.ledevoir.com/societe/777811/crise-energetique-hydro-quebec-ou-se-situaient-les-desaccords-entre-sophie-brochu-et-le-gouvernement

[24] Hydro : 37% , biomasse : 7% et  autres énergie renouvelables, principalement l’éolien : 2%

[25] En effet, seule l’Islande (90%) et  la Norvège (56%) ont des proportions supérieures d’énergies renouvelables dans leur approvisionnement.